MOOC et pédagogie : entretien avec Jean Marie Gilliot (Institut Mines Télécom)

Jean Marie Gilliot a été un des pionniers du MOOC en France en co-créant le Massive Open Online Course connectiviste ITYPA (Internet Tout y est Pour Apprendre), en participant aux équipes pédagogiques de plusieurs autres au sein de l’Institut Mines Télécom, ainsi qu’à la première session de Monter un MOOC de A à Z. Par ailleurs il a créé un blog sur les Techniques Innovantes Pour l’Enseignement Supérieur (TIPES). Nous avons souhaité l’interroger sur l’évolution du phénomène MOOC et les innovations  pédagogiques qui l’accompagnent.

Quelle est votre mission au sein de l’Institut Mines Telecom ?

Au sein l’Institut qui rassemble 10 écoles d’ingénieurs, je suis devenu chef de projet pour développer les MOOCs. J’ai organisé et animé beaucoup de réunions pour convaincre les professeurs et les directeurs d’établissement, ainsi que des rendez-vous avec des donateurs potentiels.

J’ai rencontré beaucoup de monde, et cela a permis de faire bouger les choses. Au sein de L’Institut on a déjà produit 9 MOOCs  et côté financement Patrick Drahi, le président d’Altice/Numericable  a décidé à titre personnel de faire un don de 10 millions d’euros pour financer le développement des MOOCs.  Il s’est engagé à verser chaque année un million d’euros pendant 10 ans ce qui nous permet d’avoir de la visibilité dans la durée. Un contrat qui par son montant et ses modalités est une première pour nous.

Vous qui avez animé plusieurs conférences au cours de l’année 2014 sur le sujet, avez-vous pu observer des réactions négatives à l’égard des MOOCs ?

Sur 2014, j’ai animé une vingtaine de conférences ou colloques consacrés aux MOOCs. Il y a ni plus ni moins de réactions  que pour d’autres innovations pédagogiques dans le passé. Peu de gens sont dans l’opposition et beaucoup sont convaincus s’il s’agit d’un changement de paradigme…mais il faudrait que cela ne coûte rien financièrement.

Tous les professeurs n’auront pas vocation à faire des MOOCs, d’autant qu’il y a d’autres modalités pédagogiques possibles. On peut fixer à terme l’objectif de faire 1% des cours sous forme de MOOC. On observe qu’aux Etats-Unis ils sont sur la même longueur d’onde.

Le MOOC est un «objet pédagogique» comme un autre. Ce qui m’intéresse c’est son côté social, ouvert et déclencheur de prise de conscience. Les Massive Open Online Courses  ne sont qu’une étape, mais cela permet de se poser des questions sur la place du numérique dans la pédagogie. Il y aura sans doute d’autres innovations demain.

A Mines Telecom, deux MOOCs servent aujourd’hui de base de cours. Un fonctionne en remplacement d’un cours existant, avec des professeurs qui sont à la disposition des élèves s’ils ont  des questions, et on a rajouté un TD en prolongement.

Pourrait-on imaginer que les évaluations de ces MOOCs permettent ensuite de réaliser les TD par groupe de niveau ?

Les groupes de TD sont faits pour l’ensemble de l’année et l’ensemble des cours. Ce n’est donc pas envisageable pour l’instant.

L’arrivée des MOOCs va elle aussi avoir un impact sur le marché de la formation professionnelle ?

Oui évidemment. Les acteurs qui se contentaient de déployer des formations avec des répétiteurs et sans réelle valeur ajoutée vont devoir se remettre en cause, même si beaucoup  n’ont pas intérêt à bouger.  Des Start-up comme Coorpacademy créé par Jean Marc Tasseto l’ancien DG de Google France ont su séduire les entreprises (GDF Suez, Pernod-Ricard et la Société Générale) en intégrant les MOOCs de manière innovante.

Et côté grandes écoles ?

Lorsque je suis intervenu sur les MOOCs  à la Conférence des Grandes Ecoles, j’ai rencontré quelques écoles commerces qui avaient conscience que le numérique allait les obliger à changer complètement leur modèle pédagogique pour aller vers des pédagogies plus actives comme les classes inversées, avec des élèves qui en fonction des cours, des TD et des cas d’étude iront chercher les ressources pédagogiques «à la volée» sur internet. La vie du campus se recentrera alors sur le présentiel, l’échange et la construction. Les écoles qui vont survivre sont celles qui vont intégrer cette nouvelle dimension.

Peut on envisager un jour que des diplômes soit délivrés sur la base des MOOCs ?

Seules  les universités peuvent délivrer des diplômes. Là-dessus la frontière est très claire. Les diplômes appartiennent aux universités et une plateforme comme France Université Numérique n’est pas une université.  Seuls quelques MOOCs comme celui de Gestion De Projet de Rémi Bachelet à Centrale Lille, ou celui que nous avions fait à Mines Telecom  sur les réseaux  de données ont tenté l’expérience de délivrer des ECTS (2 pour les MOOCs précités), mais ceux-ci ne sont valables que dans la même université.

Avec les MOOCs , pourrait-on un jour imaginer que des acteurs du digital comme Google Amazon, ou Linkedin créent des universités virtuelles avec un corps enseignant prestigieux de prix Nobels ou d’experts ?

On s’attend à voir arriver ce type d’initiative. Pour l’instant cela ne s’est pas passé.  Cela poserait différents problèmes, et sur le plan économique les plus menacées seraient les petites écoles privées.

Quels sont vos projets pour les mois à venir ?

Actuellement je travaille sur un projet  de Mooc sur la gestion des risques côtiers avec L’Université de Bretagne Occidentale et l’Institut Universitaire Européen de la Mer qui devrait voir le jour en mai sur France Université Numérique. On ne part pas d’un cours existant, mais on travaille avec des chercheurs sur un corpus de connaissances que l’on va partager avec le public. Il y a une volonté d’être très collaboratif. L’idée est d’arriver à un consensus sur un sujet qui n’est pas traité  de la même façon par les chercheurs, les associations et les autorités publiques.

Nous avons aussi une réflexion au sein de l’Institut Mines Télécom pour travailler  sur des Moocs traitant du thème de la transition (industrielle, numérique etc.) avec des équipes multi-écoles ; un peu comme nous l’avions fait sur celui consacré aux réseaux de données, sur lequel avaient travaillé des enseignants de 3 écoles différentes .

Par ailleurs, on démarre avec l’ENS de Cachan le projet d’un observatoire d’analyse des dispositifs «massifs». Tout le monde parle de learning analytics, mais personne ne sait faire. La communauté de recherche va prendre ça en charge. On aura à la fois des informaticiens et des chercheurs des sciences de l’éducation qui travailleront ensemble sur ce sujet. Quelles données analyser ? Comment les analyser ?  Quels tableaux de bord créer ?  C’est un vrai domaine de recherche pour lequel nous allons collaborer avec  le laboratoire informatique de Grenoble.

Aujourd’hui les données d’apprentissage sont, soit dans une université qui s’arroge le droit de les garder et de les donner aux étudiants, ce qui est validé par la CNIL,  soit chez des acteurs privés comme Google.

Ce qui nous intéresse  c’est de faire  ces analyses  non seulement sur les données recueillies par France Université Numérique, mais aussi sur le web de manière globale. L’apprentissage ne se fait pas que sur la plate-forme, il se fait aussi à l’extérieur par des recherches des apprenants sur le web. Si on est capable de restructurer l’info,on pourrait être capable de voir là où ils en sont de leur apprentissage, de les aider et les inciter à partager ces données pour qu’ils apprennent avec les autres de manière sociale. Pour illustrer cela Georges Siemens dit que c’est le jour où les gens ont pu  prêter leur canapé via Airbn’b que ça leur a donné un pouvoir nouveau de collaboration. Quel sera l’équivalent du canapé dans le domaine de l’apprentissage ? Comment afficher ses apprentissages et les partager avec d’autres ?  Telle est la question.

Aussi rendons le pouvoir aux individus pour qu’ils contrôlent leurs données, après ils en feront ce qu’ils voudront. Aujourd’hui les gens utilisent ces données d’apprentissage essentiellement pour les mettre en évidence dans  leur CV mais demain chacun pourrait  proposer son portfolio de connaissance.

Cette notion de portfolio est particulièrement intéressante et devrait émerger dans les années à venir.

3 réflexions sur “MOOC et pédagogie : entretien avec Jean Marie Gilliot (Institut Mines Télécom)

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  3. Merci pour cette interview. M. Guillot va droit au but et aborde les choses de manière très réaliste. Les moocs sont une grande innovation de l’enseignement mais il ne faut pas être utopique, ce dispositif ne remplacera jamais (en tout cas pas encore) les cours en présentiel comme le voudraient certains journalistes qui s’en exclament.

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