Fin avril l’Institut Mines Télécom publiait son premier rapport d’activité sur le développement des Massive Open Online Courses (MOOC) depuis son démarrage en 2013 jusqu’à fin 2016. Un rapport très complet, téléchargeable depuis ce lien , qui constitue un retour d’expérience très riche qui nous a donné l’envie d’en savoir un peu plus en interrogeant Nicolas Sennequier, le directeur des pédagogies numériques à la direction générale de L’IMT.
Vous avez produit 26 MOOC dont 10 sur les 12 derniers mois. Comment gérez vous l’industrialisation de cette production ?
Je vais peut-être vous étonner, mais on pourrait dire qu’en pratique, chacun de nos MOOC est un prototype, une nouvelle aventure pédagogique. Nous avons assez peu d’industrialisation mais plutôt du partage d’expérience. Une équipe au niveau de la direction générale de l’Institut a été constituée pour apporter de la compétence aux équipes des écoles qui se lancent dans un projet MOOC
Il n’y a pas de processus organisé sur la production des vidéos comme peut le faire le CNAM. La plupart des écoles ont un studio, et il en existe un au niveau de la direction générale de L’Institut.
On a gagné en efficience dans l’exploitation des MOOC en impliquant des assistants pédagogiques. Ces assistants peuvent être soit des élèves doctorants travaillant auprès d’un enseignant chercheur du MOOC, soit des apprenants d’une des premières sessions du MOOC, qui se sont distingués sur les forums et auxquels on propose d’assurer cette mission. Le travail concerne principalement l’animation des sessions et ces personnes sont rémunérées.
Cette industrialisation a-t-elle permis de réduire fortement les coûts de production ?
Non, car chaque MOOC est différent. Les MOOC construits avec des activités relativement standards sont globalement moins coûteux à produire que la moyenne . D’autres MOOC, comme “Programmer en C” ont des modalités plus pédagogiques plus ambitieuses, nécessitant des développement logiciels, et donc plus onéreuses.
Tous nos MOOC sont exploités au moins une fois par an. “Fondamentaux pour le Big data” en est à sa septième session, et il est même utilisé par notre organisme de formation continue comme prérequis pour une formation diplômante.
Avez vous rencontré des difficultés avec les enseignants ?
Fondamentalement les enseignants chercheurs qui participent aux MOOC sont volontaires. Les MOOC actuels de l’IMT ont été proposés spontanément par des enseignants-chercheurs. Aujourd’hui nous avons dépassé le stade de créer des MOOC pour expérimenter. On est passé à une phase d’ensembles plus larges qui regroupent plusieurs MOOC pour former des parcours qui peuvent, dans certains cas, être certifiants. Cela nous oblige à rendre ces parcours cohérents avec tous les MOOCS correspondant à un objectif pédagogique. Si pour y parvenir il nous en manque un, là effectivement il faut arriver à trouver et impliquer une équipe d’enseignants chercheurs pour le MOOC manquant, ce qui peut-être compliqué.
Je constate des différences d’appétences personnelles des enseignants vis à vis du format MOOC. Je distinguerais trois grandes catégories de motivation, un enseignant pouvant avoir les trois.
Il y a d’abord l’enseignant sur le campus qui pense à ses élèves et veut introduire le numérique dans sa pédagogie. Il raisonne au fond sur un cours numérique, mais pas vraiment sur un cours ouvert à tous et massif.
Une deuxième catégorie conçoit les MOOC comme un outil de promotion pour leur matière et éventuellement pour eux-mêmes.
Enfin, une troisième aborde ce format comme une nouvelle pédagogie et s’interroge sur comment s’adresser à une communauté qui n’est pas celle des étudiants habituels des écoles, et de ce fait sur la façon de transmettre.
La principale difficulté pour de nombreux enseignants lorsqu’ils créent un MOOC ou transforment leur cours existant en MOOC, est de se poser à nouveau les questions pédagogiques essentielles comme, quel public vais-je viser ? Quels sont les prérequis ? Quel est l’objectif pédagogique ? Il faut arriver à formuler celui-ci du point de vue de l’apprenant et ensuite à le décliner jusqu’au grain le plus fin.
Et concernant les activités proposées ?
Quelle est la bonne activité pour faire acquérir la connaissance ou la compétence ? Les concepteurs de MOOC ont un tropisme vers la vidéo, mais nous avons constaté, parfois de manière très factuelle, que pour certains grains de connaissance elle n’est pas le médium le plus adapté. Il faudrait se poser la question de comment utiliser au mieux la vidéo ? Ainsi, pour le MOOC “S’initier à la fabrication numérique”, des vidéos de reportage dans des fab lab montrent des exercices pratiques, c’est très démonstratif. Le MOOC “Introduction à la mécanique des fluides” inclut des vidéos de terrain.
Certains enseignants ont-ils du mal à passer de l’autre côté de la caméra ?
Oui évidemment cela arrive, mais je trouve aussi très intéressant qu’un enseignant chercheur ne souhaite pas passer devant la caméra. Si vous prenez l’exemple du cinéma, on peut avoir envie d’aller voir un film réalisé par Steven Spielberg sans forcément s’attendre à le voir à l’écran.
Pour moi, la valeur ajoutée unique de l’enseignant chercheur, c’est le contenu et la façon de le transmettre, c’est à dire la pédagogie. C’est le coeur de son métier. Après s’il veut être devant la caméra, tant mieux. Woody Allen réalise et joue dans certains de ses films, mais il me semble complètement légitime qu’un enseignant souhaite se concentrer uniquement sur le contenu.
Sur le MOOC “Comprendre l’économie collaborative” son pilote scientifique Godefroy Dang N’Guyen a pris assez tôt la décision de ne pas être filmé et cela a été très bien compris par les participants du MOOC.
Avec le MOOC “Innover et entreprendre dans un monde numérique” le parti-pris pédagogique a été de réaliser des vidéos en animation (motion design) où les enseignants chercheurs n’apparaissaient en signature qu’en toute fin des vidéos.
Vous participez au projet Eiffela de FUN pour une meilleure accessibilité des MOOC. Comment cela se concrétisera-t-il dans vos prochaines productions ?
Pour le MOOC “Introduction aux ressources minérales”, les fonctionnalités de session synchrone mise au point par Glowbl ont été utilisées avec succès. Concernant l’accessibilité, une partie des vidéos de nos MOOC sont sous titrés, à la fois pour les rendre accessibles aux personnes malentendantes, mais aussi pour les rendre plus compréhensible aux étrangers ayant des difficultés avec notre langue.
Vous avez dépassé à date les 350 000 inscriptions. Comment se répartissent elles entre les plateformes (Fun, Coursera et Edx) ?
Sur Coursera où aujourd’hui nous avons 3 MOOC disponibles, nous en sommes à 45 000 inscriptions. Beaucoup moins sur EdX car notre premier MOOC sur cette plateforme a été lancé début 2017 et le deuxième au printemps.
Le portrait type d’un incrit à vos MOOC est un homme (75%) entre 25 et 44 ans (58 %) avec un niveau d’étude au moins égal à Bac +5 (53 %). Allez vous élargir cette cible ?
Nous n’avons pas de raisonnement en terme de cible. Les écoles de l’IMT forment des ingénieurs et de manageurs sur 3 ans, donc il est normal que nos cours soit d’un niveau dernière année de licence ou master. Du coup nos MOOC touchent majoritairement des personnes diplômées. Je pense que notre pédagogie pourrait être fluide, pour toucher des personnes ayant des habitudes d’apprentissage moins développées.
L’IMT pourrait proposer des MOOCqui soient plus introductifs, mais c’est un challenge pour nos enseignants chercheurs qui ont la pratique d’enseigner à des personnes ayant déjà un niveau au moins bac + 2 avec des parcours prépa scientifiques.
Exploitez vous cette base d’inscrits ?
La base d’inscrits ne nous est en pratique pas facilement accessible. Avec edX, nous y avons en principe accès, mais nous n’avons pas encore d’interlocuteur en matière de données à qui edX transmettrait les fichiers. edX a d’ailleurs une pratique intéressante à cet égard : dans le formulaire d’inscription à un MOOC, il y a une case à décocher si vous souhaitez que vos coordonnées ne soient pas transmises à l’institution organisatrice du MOOC : si vous ne décochez pas cette case, l’institution peut vous transmettre des informations sur la thématique du cours, mais pas forcément directement liées à celui-ci.
Sur la plateforme Fun comme chez Coursera, le contact et la communication avec l’apprenant sont strictement limités à l’enseignement proposé dans le cadre du MOOC. Nous ne disposons pas de l’adresse mél des apprenants.
On peut récupérer des données collectives sur l’apprentissage tant auprès de Fun que de Coursera qui servent à optimiser le taux de complétion des formations.
Comment utilisez-vous les MOOCs dans les cursus des écoles ?
En 2015-2016, sur les 10 000 étudiants de nos campus, le nombre d’inscriptions d’étudiants à un MOOC a été de 5 000, dont un peu moins de 2 000 sur des MOOC externes. Les trois écoles qui les utilisent le plus dans leur pédagogie sont : IMT Atlantique (école résultant de la fusion de Télécom Bretagne et Mines Nancy), Télécom SudParis et IMT Lille-Douai (école résultant de la fusion des Mines de Douai et Télécom Lille).
Allez vous amplifier le recours aux MOOC dans votre pédagogie ?
Oui car les enseignants apprécient globalement ce format. Les élèves aussi, dès lors qu’on leur présente la démarche : ils aiment la flexibilité, le fait de pouvoir apprendre à leur rythme, ainsi que la variété d’activités qu’il permet.
En pratique le MOOC est utilisé dans l’enseignement en substitution du cours ou en complément, mais il y a toujours un examen final pour valider le cours. Il y a quelques écoles qui acceptent de comptabiliser un MOOC de l’extérieur qu’un élève aurait suivi.
Par ailleurs, pour l’appel à projet “Nouveaux cursus à l’université”, l’Institut a proposé un projet de collection de formations en ligne incluant un parcours diplômant. Nous étudions la possibilité d’en développer d’autres ciblant plus spécifiquement l’Afrique francophone.
Les élèves sont-ils inscrits aux sessions de MOOC ouvertes au public, ou les avez-vous privatisées ?
On a tous les cas de figure. Nos enseignants chercheurs apprécient d’inscrire leurs élèves à une session ouverte au reste du monde car cela les décharge d’une partie de la gestion de la session. Cela permet aussi à nos étudiants d’accéder aux forums, bien qu’ils y contribuent assez peu, sans doute parce que c’est plus simple et plus vivant pour eux de discuter du cours avec un camarade sur le campus.
Fun et edX proposent une fonctionnalité de suivi de cohorte qui permet aux enseignants qui souhaitent suivre leurs élèves au sein d’un MOOC de leur adresser spécifiquement des messages. Ces plateformes permet aussi de répliquer un MOOC dans une session privée, ce qui est utile lorsque les dates de session ne sont pas compatibles avec le calendrier de l’école.
Sur quelles bases les MOOC des autres écoles sont ils utilisés dans vos cursus (droits d’utilisation, échange, etc.) ?
Tout se passe en bilatéral entre les écoles. Edx a mis en place un système de reconnaissance mutuelle de crédit entre institutions, mais nous ne nous y sommes pas associés pour l’instant, même si le principe est intéressant.
Vous travaillez depuis bientôt deux ans avec Coursera et depuis un an avec edX. Quel bilan faites-vous de ces collaborations ?
Fondamentalement cela nous a beaucoup apporté. Nous constatons une grande similitude de valeur et de fonctionnement entre Fun et Edx ce qui est logique car toutes deux ont été créées par des acteurs académiques.
Même si Coursera a été fondée par d’anciens enseignants de Stanford, en pratique la plateforme est financée par des fonds d’investissement de la Silicon Valley. Coursera est donc plus une start-up du numérique. Si un but de Coursera est l’accès à l’enseignement pour le plus grand nombre, nous constatons aussi que l’entreprise est très active dans la recherche d’un modèle économique. Ceci s’est par exemple manifesté par des changements parfois rapides sur les modalités d’accès aux cours par les apprenants : intialement uniquement en mode “session”, puis uniquement en mode “à la demande”, et maintenant dans un mode hybride que nous avons mis du temps à comprendre.
Allez vous créer des parcours certifiants sur ces plateformes ?
Oui, nous souhaitons en créer sur Coursera, comme a pu le faire L’ESSEC.
Côté Edx, nous trouvons leur concept de MicroMasters très intéressant, car il s’appuie sur l’hybridation (MOOC + campus successivement). Les étudiants peuvent ainsi faire une partie du cursus d’un master à leur rythme, depuis chez eux, sans l’éloignement avec la famille et à un coût moindre. Nous avons très envie de construire de tel parcours. Une des contraintes est que la langue du MOOC soit aussi celle parlée sur le campus : nous réfléchissons ainsi à un master spécialisé avec un parcours certifiant de MOOC sur le même sujet, mais pour l’instant le master spécialisé se déroule en français et les MOOC seraient en anglais. Difficile en l’état de faire du parcours de MOOC un Micro Master car il faudrait expliquer à un étudiant étranger, qui aurait suivi les MOOC en anglais, qu’il devrait suivre le reste du mastère spécialisé en français sur le campus de l’école.
Quel bilan faites vous de l’utilisation des MOOC en formation continue ?
On est encore au début de l’histoire. Notre MOOC “Innover et entreprendre dans un monde numérique” a déjà été utilisé par un acteur du secteur de l’énergie pour former 2 500 salariés.
La responsabilité de l’employabilité est de plus en plus sur les épaules du salarié. Les entreprises restent prescriptrices en matière de formations , mais les salariés s’intéressent aux MOOC, aussi devons nous, de plus en plus, nous adresser à eux pour développer cette activité.
Quelle est votre collaboration avec l’Université Technique de Munich pour L’Académie franco allemande pour l’industrie du futur ?
Cette Académie est un projet stratégique pour l’IMT et il nous ouvre des perspective très intéressantes. A côté de la recherche pour l’industrie du futur (big data, internet des objets, automatisation), l’une des missions de cette académie est de développer de nouveaux cursus de formation par les MOOC. Nous sommes en phase de démarrage. Nous constatons que créer des équipes mixtes d’enseignants chercheurs français et allemands ajoute un degré supplémentaire de complexité.
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